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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/126

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est pleine de ces surprises. Les hommes d’État ne prévoient que la plus petite partie des conséquences de leurs actes. Même quand ils atteignent le but auquel ils ont visé, ils déterminent en même temps, sans le vouloir, d’autres mouvements parfois considérables, et qui retentissent dans tout l’organisme de la nation. C’est que les actes, une fois accomplis, n’appartiennent plus à leurs auteurs. Ils entrent dans la trame infiniment complexe de cette évolution sociale qui paraît avoir ses lois indépendantes des volontés individuelles. Nous en avons ici un exemple frappant. Un prince intelligent, énergique, ambitieux, veut faire de sa petite monarchie militaire une grande puissance européenne. Il y parvient en effet, mais au prix d’efforts surhumains. Dans la crise terrible de la guerre de Sept ans, la Prusse se voit plus d’une fois à deux doigts de sa perte ; elle n’y échappe que grâce à l’audace, au bonheur, aux ressources du génie de Frédéric II. Or, pendant que ce joueur hardi gagne cette partie presque désespérée, il se trouve que l’Allemagne en suit les péripéties avec passion. Cette guerre si sanglante, si horrible par ses excès, — guerre civile au fond entre Allemands, — tire le peuple de sa torpeur, réveille l’orgueil national, inspire des chefs-d’œuvre littéraires. Et ainsi, tout en suivant une politique exclusivement prussienne, Frédéric II imprime à l’Allemagne entière la secousse qu’elle attendait pour sortir de son engourdissement.

La guerre de Sept ans fut la première de ces grandes guerres européennes de caractère tragique, où la victoire est une question de vie et de mort pour un état. Si Frédéric eût été vaincu, le royaume