Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/127

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de Prusse cessait d’exister. Sans doute, en arrachant la Silésie à l’Autriche, il avait attiré lui-même l’orage sur sa tête, et s’il avait succombé, il aurait pu s’appliquer la maxime : « Celui qui frappe avec l’épée périra par l’épée. » Mais la lutte, en recommençant, prenait des proportions plus hautes. Il ne s’agissait plus seulement de savoir à qui la Silésie appartiendrait : l’Autriche, puissance catholique, allait-elle, en réduisant la Prusse à merci, reconquérir en Allemagne la prépondérance sans contrepoids qu’elle y avait perdue depuis la guerre de Trente ans ? De là, l’anxieuse sympathie avec laquelle le protestantisme allemand suivait les efforts désespérés de Frédéric II : il sentait instinctivement son sort lié à la fortune de la Prusse. Cette sympathie n’allait pas jusqu’à provoquer un mouvement national, ni jusqu’à changer les spectateurs en acteurs. On ne courait pas aux armes pour la défense de Frédéric II. — Comment cela eût-il été possible ? Mais on formait les vœux les plus ardents pour son salut et son succès. Rappelez-vous ce que Gœthe raconte dans ses souvenirs d’enfance. La jeunesse de Francfort était toute pour « Fritz ».

Il y avait aussi dans cette lutte inégale un élément héroïque, disparu depuis longtemps de l’histoire d’Allemagne, et qui parlait d’autant plus fortement aux imaginations. Quel spectacle extraordinaire ! Un petit état sans frontières résistant avec ses maigres ressources à l’assaut de l’Europe coalisée ! un prince allemand, aussi admirable dans les revers que dans la victoire, qui se mettait lui-même à la tête de ses troupes, qui devenait le premier capitaine de l’Europe, qui battait les Cosaques de la