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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/129

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son roi. Dans un morceau célèbre, et pour ainsi dire prophétique, il exalte la gloire de ceux qui tombent pour la patrie. « La mort pour la patrie mérite une gloire éternelle. Que je mourrai aussi de bon cœur, moi, de cette noble mort, si le destin m’appelle[1] ! » Quelques années plus tard, Kleist mourait en effet à Francfort, des suites d’une blessure reçue sur le champ de bataille de Kunersdorf. Ce fut un deuil universel parmi les poètes allemands qui étaient liés avec l’officier. Gleim célébra sa mort. Lessing ne pouvait croire à la fatale nouvelle. Il veut absolument qu’il s’agisse d’un autre major von Kleist : le poète ne peut pas être mort ! Lessing lui composa une glorieuse épitaphe, et si le nom de Kleist n’a pas péri, il le doit autant, sinon plus, à la piété de ses amis qu’à la valeur de ses vers.

Gleim n’était pas officier, mais chanoine au chapitre d’Halberstadt. C’est un poète tendre, apôtre de l’amitié et de la sensibilité, qui a voulu être un Anacréon allemand, et qui est demeuré à distance plus que respectueuse de son modèle. Cette âme paisible et douce fut remuée, elle aussi, par le spectacle de la guerre de Sept ans. Enthousiasmé par la belle défense de Frédéric II et de ses soldats, Gleim composa un petit nombre de pièces guerrières, qu’il publia sous le titre de Chants de guerre d’un grenadier prussien. Lessing s’était chargé de l’impression. Tous deux voulaient faire croire, — littérairement, cela va sans dire, — que ces poésies étaient vraiment l’œuvre d’un soldat de Frédéric II. Un écrivain qui s’imaginait de bonne foi « faire de

  1. Vers cités par Abbt : Vom Tode für’s Vaterland, p. 102.