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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/131

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dire, — déifié. Ce n’est pas un grand capitaine : c’est le Dieu même de la victoire. Son génie met l’ennemi en fuite, et sa voix seule rend les Prussiens invincibles.

À juger les vers de Gleim sur leur mérite littéraire, ils sont tout juste médiocres. Leur succès fut cependant vif et durable, et s’explique assez par le choix du sujet. Lessing semble bien les avoir goûtés. Gœthe en parlera en termes très favorables. Herder ne trouvera pas de mots assez forts pour exprimer sa joie : selon lui, l’Allemagne possède un nouveau Tyrtée. Il est vrai qu’il nous a livré lui-même le secret de cette admiration hyperbolique. Ce n’est pas le poète qui le ravit chez Gleim, c’est le patriote. Il est heureux de rencontrer enfin un poète « qui chante en vers allemands un héros allemand combattant pour une cause allemande ». Nous aurions mauvaise grâce à lui reprocher une partialité qu’il avoue. Mais comment n’être pas frappé de l’enthousiasme que Frédéric II inspirait à des écrivains dont il ignorait même le nom ? A-t-il su qui était Kleist ? Les Chants de guerre d’un grenadier prussien ne sont pas arrivés jusqu’à lui, et peut-être n’entendit-il jamais parler de Herder.

Il ne connut sans doute pas davantage Thomas Abbt, qui publia à Berlin, en 1761, un opuscule intitulé De la mort pour la patrie. Le zèle de l’auteur s’y exprime avec une énergie singulière. « Si cet écrit, dit-il dans sa préface, pouvait encourager quelques-uns de nos concitoyens à servir la patrie, et les entraîner, pleins d’une ardeur patriotique, à se joindre à nos braves légions, ce serait pour l’auteur la plus douce des récompenses : il n’aurait pas pensé