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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/143

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mait à peu près à la même époque, et dans les mêmes termes. Gottsched avait été piqué au vif par l’impertinence des critiques étrangers, qui mettaient l’Allemagne au défi de produire un chef-d’œuvre. Il avait fait ce qu’il avait pu. Il avait donné les recettes infaillibles, selon lui, pour y réussir. L’ambition de Klopstock est plus haute. Il se croit désigné pour écrire l’œuvre attendue ; ce sera une épopée, car, dans les idées du temps, l’épopée est le genre le plus sublime de la poésie, le genre suprême, qui renferme en soi tous les autres. Depuis l’enfance, Klopstock avait les yeux fixés sur le portrait que Bodmer avait tracé du poète épique, « comme César sur le portrait d’Alexandre ». À vingt et un ans, en quittant le collège de Schulpforta, il prononce un discours d’adieu, et prend pour texte : « De la nature et de la mission du poète épique. » Il y passe en revue tous les grands poètes épiques, Homère, Virgile, le Tasse, Milton (dont il fait le plus vif éloge et dont il devait en effet s’inspirer), Fénelon (dont il admire fort le Télémaque), et enfin Voltaire, qu’il goûte peu. Puis, arrivant à l’Allemagne : « N’aurons-nous donc pas, nous aussi, notre poète épique ? Une juste indignation s’empare de moi quand je vois la profonde insouciance de notre nation en cette matière… Nos poètes ne demandent la gloire qu’à des bagatelles… Que d’audace militaire chez nos ancêtres ! que de succès aujourd’hui dans la philosophie et dans les sciences ! Nous sommes en progrès : l’étranger même l’avoue, malgré son orgueil. Seule la poésie épique n’est pas représentée en Allemagne. Courage donc ! Qu’une grande œuvre, qu’une œuvre immortelle