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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/145

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plus national des deux. À la classe moyenne allemande de ce temps-là, si détachée de tout intérêt politique, si indifférente à la grandeur et à la puissance matérielles de la nation, mais si profondément chrétienne, il aurait fallu un effort pour se passionner à l’histoire d’un grand empereur du XIe siècle. Mais la sainte épopée du Christ les prenait aussitôt par les entrailles. Aucun sujet ne pouvait être plus vivant, plus populaire, plus national que celui-là. L’Allemagne était doublement fière de posséder un poème épique, et que ce poème fût la glorification du Christ. Klopstock lui-même l’écrivait avec un respect religieux. Pendant qu’il y travaillait, sa femme Meta à genoux priait le Seigneur de faire descendre sur l’œuvre sa bénédiction. Gœthe raconte, dans ses mémoires, qu’un ami de ses parents avait coutume de relire tous les ans, à la semaine sainte, les chants de la Messiade parus jusque-là[1].

Pendant plus de vingt ans Klopstock continua la publication de son poème, au milieu du respect universel. Il s’était fixé à Copenhague, et il y recevait une pension qui lui permettait de se donner tout entier à ses travaux poétiques. L’influence allemande prédominait alors en Danemark. Le ministre Bernstorff était Hanovrien d’origine ; la noblesse du Schleswig et du Holstein se pressait à la cour. Klopstock y fut l’objet des soins les plus flatteurs et les plus empressés. Pourtant son ami Gleim exprimait le regret que le grand poète national ne vécût pas sur le sol allemand. Klopstock lui-même se plaint que Frédéric II ne soit pas pour l’Alle-

  1. Wahrheit und Dichtung, liv. II, à la fin.