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guerre de Sept ans : Frédéric II ne paraît point, naturellement, mais on sent partout sa présence. Tous les personnages sont pris sur le vif, depuis Minna elle-même jusqu’au moindre comparse. Le succès fut retentissant. Jamais un théâtre allemand n’avait joué de pièce aussi pleine de force et de vie, d’une allure si naturelle et si fière.

Gœthe, dans ses Mémoires, a bien fait ressortir l’importance historique de Minna von Barnhelm. « Ce fut, dit-il, le plus véritable produit de la guerre de Sept ans. L’esprit national de l’Allemagne du nord s’y reflète à merveille. La pièce porte admirablement sa date, et justement pour ce motif l’effet en fut incalculable[1]. » Remarquez que Gœthe dit, avec raison, l’Allemagne du nord : Minna von Barnhelm répond surtout au sentiment des protestants qui voyaient en Frédéric leur champion, et qui triomphèrent de la victoire des Prussiens sur l’Autriche catholique.

Mais outre cet intérêt d’actualité, Minna était un gage précieux pour l’avenir : elle inaugurait ce théâtre national que Gottsched avait promis à l’Allemagne, sans pouvoir tenir sa promesse. Avant Lessing, l’état du théâtre, en Allemagne, était pitoyable. On rencontrait bien par-ci par-là quelques troupes passables ; mais, pour vivre, elles en étaient réduites à jouer des pantalonnades. La haute société, qui parlait français chez elle, ne fréquentait guère le théâtre allemand, persuadée d’ailleurs que tout y était détestable, auteurs et acteurs. Elle ne voulait pas comprendre qu’elle l’eût rendu meilleur

  1. Wahrheit und Dichtung, Œuvres, t. XXV, p. 106.