Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/163

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la première vertu des peuples comme des hommes : la confiance en soi. Par là son œuvre conspire avec celle du vainqueur de Rosbach, qu’il n’aimait pas, et qui, de son côté, ignorait l’auteur du Laocoon. « Je ne voudrais pas jurer, écrivait Lessing, qu’il ne se trouvera pas un jour un flatteur pour appeler l’époque actuelle de notre littérature l’époque de Frédéric le Grand[1]. » De Frédéric, qui écrivait trois gallicismes sur quatre mots allemands, et qui aurait donné toutes les œuvres de ses compatriotes pour une épître de Voltaire ! L’ironie devait paraître un peu forte, même à Lessing. Et pourtant ce flatteur s’est trouvé. Ce n’est point un courtisan vulgaire, c’est le maître reconnu de tous, le dieu de l’Allemagne littéraire, c’est l’auteur d’Egmont et de Faust. Lessing était trop près pour apercevoir le lien qui rattache la conception de Minna von Barnhelm à la guerre de Sept ans. Mais Gœthe, un demi-siècle plus tard, voyait de plus haut, et ne pouvait s’y tromper. En quelques pages de ses mémoires, il a magistralement décrit l’impulsion que, sans le savoir, Frédéric II avait imprimée aux lettres allemandes.

Cependant ni la gloire militaire, ni le prestige personnel d’un grand prince, ni les satisfactions les plus douces de l’orgueil national ne sauraient à elles seules expliquer une brillante floraison littéraire. L’histoire prouve que ces causes ne sont pas toujours suffisantes, ni même nécessaires à la rigueur. Il faut aussi un sentiment de vigueur croissante, une sorte de rajeunissement, et comme

  1. Œuvres, XI, 2, p. 975, éd. Hempel.