Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/164

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une poussée de sève remontante soit dans la nation entière, quand l’unité est déjà accomplie, soit, en cas contraire, dans une partie ou dans une classe de la nation. Les grands événements sont alors l’étincelle qui fait jaillir la flamme. Ainsi doit se comprendre l’influence de Frédéric II sur le développement de la pensée allemande, à laquelle il était étranger. Elle a été décisive, parce qu’elle arrivait juste au moment opportun. Par de patients efforts, par cette application méthodique et infatigable dont les Allemands sont coutumiers, la classe moyenne s’était reformée, moralisée, et instruite. Elle s’était relevée assez pour s’apercevoir que l’Allemagne n’était pas appréciée à sa valeur par les nations voisines, et elle souffrait de cette injuste mésestime. En un mot, le sentiment national était prêt à renaître : la gloire de Frédéric II lui donna le droit de s’exprimer avec orgueil et fierté. Il sent qu’il sera mieux écouté désormais quand il revendiquera le rang dû à l’Allemagne dans les lettres, dans la philosophie et dans la science. Il se borne là, car seuls les intérêts spirituels de l’Allemagne lui tiennent au cœur. Toute autre ambition lui est encore inconnue. N’est-ce pas un instinct profond, n’est-ce pas le sens mystérieux de la vie qui poussait de ce côté-là les forces vives de l’Allemagne ? Plus le Saint-Empire se décrépit, plus le sens de l’unité politique se perd, et plus l’effort des meilleurs esprits de la nation tend à lui refaire une unité morale : unité plus jeune, plus vivace, et assez forte pour survivre le jour où l’autre semblera définitivement perdue.