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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/168

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politisme et de patriotisme également sincères, que nous avons remarqué chez Lessing et que nous allons retrouver chez Herder, mais modifiés déjà, et prêts à s’amalgamer en un sentiment nouveau.

L’évolution des idées est incessante. Elles agissent sur les événements, qui à leur tour réagissent sur elles, et peu à peu, obéissant à la loi découverte par Hegel, elles se transforment en leurs contraires. Herder va nous montrer comment du cosmopolitisme pacifique et humanitaire de son temps devait sortir, par une dialectique naturelle, le trop fameux principe des nationalités, si gros de discussions et de guerres pour le nôtre. Il nous révélera ainsi la continuité secrète qui, malgré les apparences, relie sans interruption l’Allemagne du XIXe siècle que l’on appelle réaliste, à l’Allemagne du XVIIIe qu’on lui oppose comme idéaliste. L’antithèse est fausse : il n’y a pas là « deux Allemagnes », il n’y a qu’une évolution tantôt favorisée, tantôt contrariée par l’intervention des nations voisines, et dont les différentes phases apparaissent mieux enchaînées, à mesure que l’histoire les voit de plus loin et de plus haut.

L’histoire de l’esprit de Herder, son ardeur à s’instruire, sa furie de savoir font penser involontairement à ce que Rabelais raconte du bon Pantagruel, que, « en le voyant estudier et proufficter, eussiez dit que tel estait son esprit parmi les livres, comme est le feu parmy les brandes, tant il l’avoit infatiguable et strident. » Dans la petite ville où Herder était né[1], le pasteur avait par hasard une

  1. Mohrungen, dans la Prusse orientale. Voyez, sur Herder, la magistrale biographie de M. R. Haym, Herder nach seinem Leben und seinen Werken. Berlin, 1880-85.