Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaque nation se persuade qu’il faut combattre pour vivre, et manger pour ne pas être mangé. Le patriotisme des anciens, que Herder, Schiller, Gœthe et tous les grands esprits de leur génération croyaient mort, reprend, en Allemagne même, les allures d’un fanatisme farouche, et apparaît inséparable de l’idée de guerre. Qui se souvient que ces idées et ces sentiments auraient paru révoltants et barbares il y a à peine un siècle ? Aujourd’hui, l’optimisme humanitaire de Herder fait sourire. Une sorte de pessimisme naturaliste règne incontesté à son tour. Ne sera-t-il pas aussi un jour abandonné ? La loi du rythme s’applique aussi bien aux grands courants d’idées qu’aux mouvements de la matière, et, comme nos devanciers, nous ne voyons sans doute qu’un aspect de l’infinie complexité des choses.

II


Par une sorte d’ironie de l’histoire, Herder, qui faisait profession d’être cosmopolite, devait contribuer efficacement à rendre exclusif et jaloux le sentiment national en Allemagne. Sans qu’il s’en rendit compte peut-être, sa critique littéraire tendait à cette fin. Originale et hardie pour le temps, elle rompait avec les traditions et annonçait un esprit nouveau. La critique de ses prédécesseurs était avant tout abstraite et raisonneuse. Pour juger des œuvres, elle les rapportait à des types définis, modèles incontestés dans chaque genre. Elle se plaçait, pour ainsi dire, au-dessus du temps. Les-