Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/177

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sing lui-même, le grand rénovateur de la littérature allemande au XVIIIe siècle, esprit ouvert s’il en fut, était, comme ses contemporains, peu doué de sens historique. Lorsqu’il veut mettre en lumière les défauts des tragiques français, il les compare bien aux écrivains grecs ou à Shakespeare ; mais il suppose toujours qu’il existe un type idéal de la tragédie ou du drame, et il montre à quelle distance Corneille et Voltaire en sont restés. Cette critique discute, argumente, démontre. Elle instruit le procès d’un auteur, prononce un réquisitoire ou un plaidoyer, selon le cas, et la sentence suit. Ce n’est plus, sans doute, le procédé du professeur Gottsched, qui réduisait bonnement l’art à un certain nombre de recettes, et qui corrigeait les œuvres littéraires comme des thèmes d’écoliers. C’est encore une critique autoritaire, préoccupée de traiter chacun selon ses mérites. Elle tire les œuvres à soi au lieu d’aller à elles.

Juger et classer, voilà en deux mots le but que se proposait la critique littéraire en Allemagne jusqu’à Herder. Sentir et comprendre, voilà la tâche nouvelle que Herder lui assigne, dès ses débuts, dès l’âge de vingt ans. « Toute saine critique, écrit-il, admet que, pour comprendre un morceau littéraire et pour le faire comprendre à d’autres, il faut se placer dans l’esprit de l’auteur, de son public et de son temps. » Par exemple, si vous voulez pénétrer le sens de l’Ancien Testament, ne le lisez point avec les préjugés et avec les scrupules théologiques de notre époque, n’essayez point d’en expliquer les miracles par la physique ou par l’allégorie. Quelle absurdité que de commenter et de torturer, comme