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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/178

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un texte juridique, cette poésie spontanée et naïve ! Il faut lire la Bible comme elle a été écrite, dans la langue où elle a été écrite, en s’inspirant du génie du peuple qui parlait cette langue ; il faut étudier les mœurs et la littérature des peuples de la même famille qui existent encore. « Faites-vous berger avec les bergers, agriculteur avec un peuple agricole, Oriental avec les anciens peuples de l’Orient, si vous voulez goûter ces livres dans l’esprit même qui les a inspirés[1]. » Herder a admirablement compris que la critique est à la fois œuvre d’intelligence et de sympathie. Ce fut une heureuse réaction contre l’esprit dogmatique du siècle, trop porté à juger de tout par des principes abstraits, au nom de la raison souveraine, sans tenir compte des circonstances particulières qui font la réalité. D’ailleurs, Herder ne croyait pas se séparer absolument de ses contemporains. Comme Lessing qu’il admirait fort, comme Mendelssohn, comme les autres critiques allemands, il a toujours à la bouche le grand nom de l’humanité. Mais voici qui lui est propre : par humanité, il n’entend pas une abstraction, une généralité vague, un nombre indéfini d’êtres tous semblables entre eux, sauf l’âge et le costume. Il ne goûte pas les Orientaux des romans de Wieland ou de Voltaire, qui ne sont que des Français ou des Allemands costumés. L’humanité est à ses yeux une grande famille, dont les nations sont les membres, chacune ayant son caractère, son tempérament, son originalité. La critique suppose donc avant tout l’étude attentive des civilisations

  1. Herder, Œuvres, X, p. 13-14