Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/185

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l’embellir. Quand on parle de donner à la langue allemande plus de douceur et de grâce, on montre seulement que l’on ne se doute pas de ce qu’est une langue. D’ailleurs, l’allemand n’est ni dur, ni bizarre, ni barbare ; cette réputation lui a été faite par des gens qui ne le parlent pas. Loin de se débarrasser de ses inversions et de sa construction synthétique, qu’il les conserve, au contraire, avec soin : c’est le moule que s’est forgé à elle-même la pensée allemande, et le seul qui lui convienne parfaitement. Qui touche à la langue d’un peuple touche à son âme et le blesse dans les sources de sa vie. N’est-ce pas là le principe des revendications désespérées qui ont retenti si souvent dans notre siècle ? Les Tchèques, les Magyars, les Polonais réclament le droit de parler leur langue comme on réclame le droit de respirer ; ils sentent que c’est pour eux une question de vie ou de mort. La lutte pour la vie devient la lutte pour la langue nationale. Mais Herder ne se doute pas que ce principe se retournera un jour contre les Allemands. Il l’invoque formellement en leur nom. « Voici donc, écrit-il en 1794, que nous avons à lutter contre une nation voisine, de peur que sa langue n’absorbe la nôtre. Éveille-toi, dieu endormi, éveille-toi, peuple allemand, ne te laisse pas ravir ton palladium[1] »

Ému par l’approche du danger, Herder revient sans cesse sur la domination que la langue française a exercée en Allemagne pendant un long siècle. C’est peu qu’elle ait retardé l’essor de la

  1. Œuvres, XVII, p. 309-310.