Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/189

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Au contraire, plus il y a de centres distincts, plus l’originalité des différentes branches de la race allemande se développe librement, sans que l’unité toute morale de la patrie en souffre. Voilà pourquoi à Riga, au milieu des Russes, et à Strasbourg, au milieu des Français, Herder se sentait aussi bien chez lui qu’à Weimar ou à Kœnigsberg. Encore une conception pacifique grosse de guerres pour l’avenir. Le jour où l’Allemagne, mal satisfaite d’une unité tout idéale, aspirera à réaliser aussi son unité matérielle et politique, elle étonnera l’Europe par l’étendue et l’âpreté de ses revendications, car elle n’aura jamais cessé de regarder comme allemandes des provinces qui vivent depuis longtemps de la vie d’autres états.

Herder n’a pas encore cette idée géographique de la nation allemande. Il ne se la représente pas avec des frontières bien distinctes ; et si ce vague permet toutes les espérances et tous les regrets, il ne songe pas, quant à lui, à une Germania irredenta. Mais il définit très nettement l’Allemagne, par sa langue, par son caractère, par ses traditions, par son génie, et il travaille de toutes ses forces à lui donner conscience d’elle-même. En 1785, à l’occasion de la Ligue des princes, sur laquelle tant d’espérances s’étaient fondées en Allemagne, le margrave Charles-Frédéric de Bade, un des princes les meilleurs et les plus éclairés du temps, eut l’idée d’établir une Académie nationale allemande. Le projet fut agréé par un certain nombre de souverains, entre autres par le duc de Saxe-Weimar, le maître de Gœthe et de Herder. Celui-ci fut chargé de préparer des statuts pour cette Académie. Elle devait être, d’après lui, une sorte d’Institut national.