Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/190

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« Tout ce qui vit en Allemagne, écrivait-il à ce propos, peut et doit travailler pour elle. Aucun intérêt politique particulier ne doit s’opposer au zèle de ces efforts. L’intérêt commun de l’Allemagne prime tous les autres[1]. » Le projet de Herder était impraticable. Ne l’eût-il pas été, l’état de l’Allemagne condamnait à un échec certain toute tentative de ce genre. Mais le langage de Herder en cette occasion n’en est pas moins significatif. Plein du cosmopolitisme humanitaire de son temps, il se soucie peu des intérêts politiques de l’Allemagne ; mais dès qu’il s’agit de sa langue, de son génie, de son unité morale, cette indifférence se change en une sollicitude ardente et passionnée.

Quelques années plus tard, Herder voyait les Français maîtres de la rive gauche du Rhin. Le fléau de la guerre, qu’il redoutait si fort, menaçait de pénétrer jusqu’au cœur de l’Allemagne. En même temps, la Pologne venait de subir un nouveau partage, définitif cette fois. Il ne servait guère à ce malheureux pays, dépecé par des voisins avides et imprévoyants, que ses habitants fussent enfin unis par un sentiment commun de fidélité à leur patrie. Ces grands événements ouvrirent les yeux à Herder et lui inspirèrent des craintes toutes nouvelles pour lui. Précisément à cette époque, il écrivait ses Lettres sur le progrès de l’humanité. M. Haym aperçoit avec raison, dans cet ouvrage, les premiers signes évidents de la décadence du penseur et de l’écrivain. Ses défauts ordinaires, la prolixité, le manque de méthode,

  1. Œuvres, XII. Comparez un appel de Herder à la paix religieuse en Allemagne, XI, 20