Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/191

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l’indécision de la pensée, qui perçaient çà et là dans ses œuvres antérieures, se donnent ici libre carrière. Mais aussi faut-il dire que Herder n’a pas voulu ou n’a pas osé publier ces lettres telles qu’il les avait écrites. Heureusement, M. Suphan, dans l’excellente édition des œuvres de Herder qui est en cours de publication, a imprimé aussi le texte primitif. Ce n’est plus de la philosophie extrêmement vague, de l’érudition pure parfois, où il devient difficile de démêler quelle est la pensée de l’auteur, ou même s’il en a une. Dans la rédaction inédite, les préoccupations politiques sont au premier plan. Elles se révèlent à chaque instant par les allusions les plus claires ; parfois elles s’expriment librement. La Révolution française a produit sur Herder une impression profonde. Il appelle franchement les émigrés des traîtres et trouve que les Français soutiennent une guerre légitime contre l’étranger qui veut intervenir dans leurs affaires. Visiblement, il fonde de grandes espérances sur le mouvement libéral qui a pris naissance en France, et il l’accompagne de sa sympathie et de ses vœux. Mais il s’en effraye bientôt ; sa crainte et sa répugnance augmentent à mesure qu’il apprend la mort du roi et les crimes de la Terreur. Il se rejette alors sur le libéralisme humanitaire de Benjamin Franklin, qui le console et qui l’enchante. Voilà le politique selon le cœur de Herder, pacifique, philosophe, réformateur sans violence, et patriote sans fanatisme.

Pourtant les leçons de l’expérience ont instruit Herder. Il ne croit plus que les « liens spirituels » suffisent à maintenir une nation, et que la commu-