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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/192

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nauté de langue, de mœurs et de traditions constitue à elle seule une patrie. « Une nation, écrit-il, qui n’est pas capable de se protéger et de se défendre elle-même contre l’étranger, n’est pas vraiment une nation et ne mérite pas l’honneur de ce nom. » Nous sommes loin de ce dédain superbe qui renvoyait à l’antiquité les vertus militaires du patriotisme. Combien d’autres Allemands, cosmopolites par éducation et par système, qui se seraient contentés toute leur vie, comme Herder, d’une patrie purement idéale, et qui, sous la pression des événements, ont changé de sentiments et de principes ! Des convictions philosophiques qui semblaient être au-dessus de toute discussion s’évanouirent comme par enchantement : elles ne tinrent pas contre la présence de l’étranger sur le sol national. « Tout notre raisonnement, disait Pascal, se réduit à céder au sentiment. » Et, de fait, le sentiment a sa logique à lui, logique profonde et complexe, déconcertante comme la vie, mais plus rigoureuse et plus vraie dans ses contradictions apparentes que la logique du raisonnement dans son infaillibilité abstraite. Beaucoup d’esprits réfléchis voulurent néanmoins justifier à leurs propres yeux cette brusque conversion. C’est une habitude d’esprit familière aux Allemands. Les causes extérieures et accidentelles ne sont jamais pour eux des causes suffisantes : on doit chercher l’explication vraie, non dans les circonstances, mais dans l’essence intime, dans la substance même des êtres. Le présent doit être plein du passé. Il s’agissait donc de montrer comment du cosmopolitisme même avait dû sortir l’enthousiasme patriotique qui lui semblait contraire. Tâche