Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/32

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lettre et excommuniait tout ce qui n’acceptait point ses formules. Leibniz ne réussit qu’à se rendre suspect d’hérésie et même d’athéisme, et il mourut en effet entouré de soupçons et de malveillances dont l’origine n’est pas douteuse.

Quant aux catholiques, plus Leibniz raisonnait avec eux, plus il pouvait se convaincre qu’il y avait au moins deux obstacles insurmontables. D’abord le Concile de Trente, que l’Église ne pouvait abandonner, et auquel l’Allemagne protestante ne voulait à aucun prix se soumettre. C’était une question d’amour-propre national. « Que l’on n’attende pas de nous, écrit Leibniz[1], que nous acceptions des articles de foi qui ont été introduits au siècle dernier par une cabale, et comme une insulte aux Allemands. » Ensuite le point capital, l’abdication du sens propre, l’acceptation soumise des décisions de l’Église, quelles qu’elles soient, Leibniz ne peut y consentir. « Quand M. Bossuet exige que l’on renonce à l’esprit philosophique, autant demander que l’on renonce à l’amour de la vérité… Lisez, madame, dans le Journal des Savants, les histoires de miracles qu’un homme de bon sens devrait avoir honte de raconter devant un protestant ! Mais qu’un catholique éclairé dise son avis sur ces fables, il tombe sous la menace de l’Inquisition… Tout va à soutenir la bagatelle et à étouffer les lumières qui sont encore parmi vous ;

  1. Lettre du 30 mai 1694, citée par Julian Schmidt, Geschichte des geistigen Lebens vo Leibniz bis auf Lessings Tod, I, p.216. Je ne cite pas cette ouvrage sous la dernière forme que son auteur lui a donnée, parce qu’il en a retranché un certain nombre de textes que je lui emprunte et auxquels j’aurai a me référer