Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/38

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qui subsiste par lui-même. Il ne tient qu’à lui d’être heureux, s’il le veut. Car ni le pays ne manque d’hommes pour le défendre, ni les hommes ne manquent de terre pour les nourrir. Les hommes sont courageux et intelligents, la terre grande et fertile… » Et que d’injustice dans le mépris qui frappe la langue allemande ! Elle ne le cède pourtant à aucune autre pour la richesse, la beauté, la poésie ; elle est si foncièrement honnête, qu’elle se refuse à l’expression du mensonge[1]. L’Allemagne ne peut aller à sa perte plus sûrement qu’en oubliant sa langue nationale. À se forcer de parler et d’écrire en français, un Allemand commet une sorte de suicide intellectuel. Tout ce plaidoyer passionné en faveur de la langue allemande, qui passe alors inaperçu, nous le retrouverons plus tard, presque dans les mêmes termes, chez Fichte et chez Herder. Gottshed avant eux l’avait connu et s’en était inspiré. Plus d’une fois nous aurons à relever de telles filiations presque invisibles et néanmoins réelles. Les esprits les plus divers, les plus indifférents même à l’intérêt national seront unis cependant, parfois à leur insu, par une même idée de la langue, de la pensée, de la vertu allemandes ; et cette idée à son tour, lorsque le sentiment national se réveillera, en sera le ressort le plus énergique et le plus résistant.

Mais Leibniz ne pouvait prévoir ce lent travail de plus d’un siècle, et il aurait eu presque le droit de désespérer, en voyant l’atonie de l’Allemagne de son temps et l’inutilité de ses efforts pour lui rendre

  1. Voir les deux mémoires : Ermahmung an die Deutschen, et Unvorgreißiche Gedanken… dans Klopp.