Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/41

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Mais pour tout le reste, l’effort que Leibniz demandait à ses contemporains était décidément au-dessus de leur pouvoir. Les sentiments qu’il exprime n’éveillent point leur sympathie. Le langage qu’il leur parle, ils ne le comprennent plus. Il est un des derniers qui aient pensé à la « patrie commune ». Le sentiment de l’unité nationale, qui allait s’affaiblissant depuis des siècles, semble disparaître tout à fait. Pour le réveiller, il ne suffisait pas d’y faire appel, comme l’a tenté Leibniz. Il fallait une véritable reconstitution de la nation elle-même. Et précisément dans les dernières années du XVIIe siècle ce travail de réparation s’annonce ; mais Leibniz, distrait par d’autres soins, n’a pas fait attention à ces humbles commencements, à ces signes à peine perceptibles d’une vitalité renaissante. Pendant qu’il essaye de faire adopter ses projets patriotiques par les princes d’Allemagne, d’autres se donnent tout entiers à des questions de théologie, de pédagogie et de morale. Indifférents à l’unité politique de l’Allemagne, ils travaillent cependant mieux que Leibniz à la préparer. Car cette unité politique, qui n’est réellement que la forme extérieure et visible de l’unité, devait venir en dernier lieu, après qu’un siècle entier se serait passé à refaire l’unité morale de l’Allemagne, à lui reconstituer, avec une littérature, un trésor commun de sentiments et d’idées, à lui rendre, en un mot, conscience de son génie et de son originalité.