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que Thomasius ait pris un peu partout ce qu’il enseignait. Il appelle lui-même sa philosophie éclectique, et il a bien raison : il emprunte tantôt à Descartes, tantôt à Bayle, plus tard à Locke. Peu importe même que sa morale soit terre à terre et ne sache pas s’élever au-dessus du principe de l’utilité. Elle venait à son heure. Cette philosophie répondait à un besoin pressant. Elle ouvrait courageusement les hostilités contre les abus invétérés des universités, contre le pédantisme traditionnel des professeurs, contre la tyrannie soupçonneuse des théologiens. En pareille matière, le plus difficile et le plus méritoire est justement de commencer.

Voyez par exemple comment Thomasius s’y prit pour mettre fin aux procès de sorcellerie. La croyance au diable était alors de foi. Nier le diable était aussi grave que nier Dieu. Tout accident dont la cause n’était pas évidente provenait sûrement du diable. Si les bêtes ou les gens tombaient malades, c’est que quelque sorcier ou sorcière leur avait jeté un sort. Qui était trop constamment heureux dans ses entreprises se voyait vite soupçonné d’avoir conclu un pacte avec Satan. Des personnes instruites croyaient fermement aux assemblées de sorcières sur le Brocken. Les vieilles femmes très laides, et les jeunes très jolies, étaient naturellement suspectes. On évalue à 100 000 personnes le nombre des victimes que les procès de sorcellerie avaient faites en un siècle[1]. Thomasius vit, en 1694, ses collègues non théologiens refuser de condamner une sorcière que lui-même envoyait au bûcher.

  1. Selon M. Biederman, II, 1, 379.