Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/58

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Ainsi Thomasius avait obtenu, ici encore, un succès modeste, il est vrai, mais durable cependant et qui n’était pas à dédaigner. Non que nous prétendions le « réhabiliter » comme on dit, ni tirer de son obscurité un nom justement oublié. Mais il a dû nous arrêter un instant, car sa vie, ses idées et ses tendances jettent une vive lumière sur l’état des esprits en Allemagne dans les premières années du XVIIIe siècle. Leibniz demeure isolé dans l’Allemagne de son temps. Il est trop grand, trop libre, trop universel. Allemand par le cœur et par le génie, il est Européen par ses relations et par l’immense correspondance qu’il entretient avec les savants de tous les pays. Thomasius, au contraire, est encore près des abus et des préjugés qu’il combat : il ne s’en est affranchi lui-même qu’après les avoir longtemps approuvés. Il n’a pas tourné le dos, comme Leibniz, à l’université d’où il est sorti. Il y vit, il y enseigne, il y bataille, il s’y sent chez lui. C’est pourquoi il symbolise à merveille, pour l’historien, les premiers efforts de la pensée allemande moyenne, efforts gauches et maladroits, pour secouer le joug d’une théologie intolérante et le poids mort d’une scolastique surannée. Tout intérêt politique a disparu pour elle. Elle n’a pas trop de toutes ses forces pour se ressaisir, pour s’émanciper et pour revenir à une pleine conscience d’elle-même.

III

Dans la littérature du temps, nous ne trouverions pas un nom à rapprocher, je ne dis pas de Leibniz,