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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/72

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d’un homme ne se proportionne pas toujours à son originalité. Wolff et Leibniz en sont la preuve. L’action de Wolff sur ses contemporains fut infiniment plus directe et plus étendue, quoiqu’il n’ait fait que systématiser, et même gâter sur plus d’un point la doctrine de son maître. Mais il était plus accessible, plus didactique surtout. Il savait et il aimait enseigner. Dès son arrivée à Halle, où il fut professeur de philosophie, les étudiants vinrent à lui avec un empressement qui lui fit aussitôt des ennemis. Les piétistes, qui avaient la haute main dans celle université, tenaient la philosophie pour suspecte. Ils avaient toléré Thomasius, peut-être en souvenir des services rendus ; ils ne supportèrent pas ce jeune professeur, qui n’avait pas la libre pensée modeste. « J’ai représenté à M. Wolff, dit Francke, quelle corruption d’âme j’ai trouvée dans ses disciples[1]. » Le même piétiste devait plus tard écrire ce mot si caractéristique : « Je n’ai jamais pu faire un vrai chrétien d’un jeune homme qui a étudié Euclide. »

Les hostilités commencèrent à propos d’un Discours de Wolff sur la morale des Chinois. Selon lui, la raison, avec ses seules forces, et sans le secours d’aucune révélation, peut fonder une morale irréprochable, et l’exemple des Chinois le prouve. Aussitôt plainte est portée contre Wolff, qui réplique, et la discussion s’envenime. Le gouvernement prussien ne se décidant pas assez vite à agir, les piétistes s’avisèrent d’un argument ad hominem dont l’effet était sûr. Le roi Frédéric Guillaume 1er, le roi--

  1. Biedermann, II, I, 413 sqq.