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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/73

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sergent, tenait par-dessus tout, comme on sait, à ses beaux régiments de grenadiers gigantesques, qu’il recrutait à grands frais par toute l’Europe. Les amis des piétistes lui représentèrent que Wolff enseignait le fatalisme, et qu’il niait la liberté et la responsabilité morales : par exemple, si un grenadier désertait, c’était, selon cette doctrine, qu’il ne pouvait pas ne pas déserter ; il ne méritait donc aucun châtiment. Le roi saisit tout de suite ce que cette doctrine avait de pernicieux, et séance tenante, il envoya à Wolff l’ordre de quitter ses états dans les vingt-quatre heures. Wolff ne se le fit pas dire deux fois et se réfugia dans la Hesse, où l’université de Marbourg le recueillit.

Les piétistes furent un peu étourdis eux-mêmes de leur victoire. Le roi, à son habitude, avait frappé trop fort. Il leur aurait suffi que l’on fermât la bouche à Wolff et qu’on lui interdît d’écrire. Ils avaient manqué le but en le dépassant, et la persécution tourna à la gloire du philosophe. Elle lui procura tout d’un coup une célébrité à laquelle il n’aurait pas osé prétendre[1] Wolff passa pour un martyr de la science indépendante, et dès lors le nombre de ses disciples augmenta chaque année. Ludovici, dont l’histoire s’arrête en 1737, énumère déjà cent sept philosophes ou écrivains wolfiens. Un comte de Wied ordonnait que les jeunes théologiens de ses domaines allassent étudier deux ans près de Wolff. Un professeur d’Iéna ayant traité Wolff d’hérétique, les étudiants protestèrent et manifestèrent, au cri de : « Vive Wolff ! » En même

  1. Hettner, III, 235-245.