Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/77

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En dépit des précautions dont il s’enveloppe, l’esprit de sa réforme est radical et même intransigeant. Il prétend faire table rase du passé. Il n’a pas de sens historique, il ne veut pas en avoir. Lorsque le cartésianisme l’emporte définitivement vers la fin du XVIIe siècle, la scolastique a vécu en France. En Allemagne, cette brusque rupture de la tradition n’a jamais eu lieu. Leibniz restait conservateur jusque dans ses plus sublimes hardiesses, et prétendait englober Platon et Aristote dans son système original. Il n’était d’ailleurs ni bien connu, ni bien compris. Wolff fut l’homme nécessaire, qui, à la scolastique de Mélanchthon, en substitua une nouvelle, et, sans dépayser les esprits, leur fournit un cadre nouveau où les sciences du temps pouvaient commodément se ranger. En faisant sentir la nécessité des démonstrations rigoureuses et d’une méthode scientifique, Wolff rendait un signalé service. Les contemporains ne s’y étaient pas trompés. Voltaire appelait Wolff « le maître à penser de l’Allemagne ». Mirabeau le nomma plus tard « le père de la saine philosophie, celui qui eut l’influence la plus grande et la plus utile sur l’esprit humain en Allemagne. » Mais la formule la plus exacte appartient à Hegel. « Wolff, dit-il, fut l’instituteur de l’Allemagne[1]. » ?

Cet instituteur avait compris qu’il fallait, avant tout, parler à ses élèves leur langue maternelle. Il traduisit plus tard ses principaux ouvrages en latin, mais il les avait publiés d’abord en allemand, obéissant à la loi générale qui pousse les réforma-

  1. Bartholmess, Histoire philosophique de l’Académie de Prusse, I, 98-118