Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/80

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une grande inclination pour le bien de l’humanité, et un grand désir de rendre tous les hommes heureux, s’il était en mon pouvoir, je n’ai rien eu plus à cœur que d’employer toutes mes forces à cette œuvre : développer la raison et la vertu parmi les hommes. » Et de fait la morale de Wolff[1] mérite de nous arrêter un instant. Non qu’elle soit plus remarquable que le reste ; mais une pureté irréprochable y supplée heureusement à l’originalité absente, et elle prend ainsi le caractère d’une protestation contre les mœurs du temps. Ce qu’étaient ces mœurs, nous le savons par les Mémoires de Pollnitz, de Casanova (plus tard) et de tant d’autres : un mélange de corruption, de raffinement et de grossièreté. Les familles régnantes, hormis de très rares exceptions, donnaient le mauvais exemple : la noblesse renchérissait sur les vices de ses maîtres et contaminait le peu qui restait de haute bourgeoisie. On en était venu, par exemple, à faire bon marché des obligations du mariage, et beaucoup d’écrivains ou de philosophes se montraient indulgents sur ce point de morale domestique. Leibniz pensait que la monogamie était sans doute préférable, mais que la polygamie dans certaines circonstances pouvait être tolérée. Selon lui, les missionnaires n’étaient pas obligés d’en détourner les Chinois ou les Indiens, attendu qu’elle n’était contraire ni au droit naturel, ni au droit religieux, mais seulement à notre droit civil. Thomasius pensait de même, et un certain Lyser avait pris ouvertement parti pour

  1. Sur la morale de Wolff, voy. Biedermann, II, 1, 410 sqq. — Zeller, Geschichte der deutschen Philosophie seit Leibniz, p. 211 sqq. ; Hettner, et J. Schmidt.