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Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/83

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ne se soucie point qu’elle soit forte ou redoutée.

Cette indifférence aux intérêts politiques sera générale au XVIIIe siècle en Allemagne. Elle n’empêche pas Wolff d’avoir contribué pour une part non petite à la reconstitution d’une nationalité allemande, que nul n’aurait pu seulement soupçonner de son temps. La vie procède ainsi : souvent la fin qui dirige l’évolution d’un organisme n’apparaît que lorsque l’être devient adulte. Loin de nous la pensée d’exagérer l’importance personnelle de Wolff : sa doctrine n’a pu agir que sur des esprits bien préparés à la recevoir. Mais, en un certain sens, Wolff a été peut-être l’homme dont sa génération avait le plus besoin. Qu’eût-elle fait d’un Kant, dont la philosophie originale et profonde n’aurait pu encore être comprise ? Non, ce qu’il fallait aux Allemands du premier tiers du XVIIIe siècle, c’était un esprit solide, systématique, plus scrupuleux sur la méthode que fécond dans l’invention, irréprochable dans sa morale, un peu pédant, à la fois novateur et respectueux de la tradition, amoureux de la raison et sincèrement chrétien, bon instituteur et bon éducateur, en un mot, un pédagogue. Wolff fut cet homme-là. Il excella par ses défauts comme par ses qualités. Sa discipline forma le public allemand à une méthode commune et à des procédés de démonstration uniformes. Si la génération qui suivit, la génération des Lessing, des Winckelmann et des Klopstock, produisit déjà nombre de poètes, de philosophes, d’érudits vraiment allemands, jaloux de leur indépendance littéraire et capables d’exploiter le fonds national, l’honneur en revient, pour une bonne part, aux honnêtes leçons de Wolff.