Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/87

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vail patriotique, ce fut, nous dit-il, la provocation d’un Français. On lit, en effet, dans les Lettres françaises et germaniques (1740)[1] : « Nommez-moi un esprit créateur sur votre Parnasse, c’est-à-dire nommez-moi un poète allemand qui ait tiré de son propre fond un ouvrage de quelque réputation ? je vous en défie !… Quelqu’un croira peut-être que vos poètes s’étant entièrement tournés du côté des traductions y ont fait des merveilles. Rien moins que cela ; ils ont défiguré les meilleurs originaux français, anglais et italiens. Nos poèmes dramatiques en sont une bonne preuve. On ne les reconnaît plus dans votre langue : ce sont bien les mêmes pensées, mais exprimées de la manière la plus faible du monde… Mais comment se fait-il que votre nation ne puisse pas tirer de son propre fond une pièce de théâtre tant soit peu passable ? Où la prendrait-elle ? Vos poètes ne s’appliquent presque qu’à la petite poésie et souvent à des fadaises. »

J’ai tenu à citer en entier ce passage qui a si fort irrité Gottsched. On y saisit sur le vif l’origine d’un de ces malentendus entre nations dont les conséquences portent très loin. Qui connaissait en France ces obscures Lettres françaises et germaniques ? Qui se serait douté que leur ton de supériorité ridicule et leur affectation de mépris assez niaise feraient en Allemagne une impression profonde et durable ? On dira que ce sont là des aménités inévitables entre voisins, et qu’il ne serait peut-être pas difficile de trouver chez des écrivains allemands contemporains des passages aussi désobligeants pour

  1. Ces lettres sont de Mauvillon, protestant réfugié en Allemagne.