Page:Lévy-Bruhl - L’Allemagne depuis Leibniz, 1907.djvu/88

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l’esprit français. Il est vrai : mais il faut tenir compte du tempérament des deux nations. Les Français ne se fâchent point quand on leur reproche leurs défauts ; ils mettent une certaine coquetterie et parfois même de la vanité à en convenir. Ils sont volontiers fanfarons de vices. Mais les Allemands prennent les choses au sérieux. La raillerie les blesse souvent comme une insulte, et le sentiment de la dignité offensée chez eux ne pardonne guère. C’est ainsi que par l’accumulation de griefs souvent futiles s’amassent lentement des trésors de rancune et de haine, et malheur à la génération que le sort désigne pour régler par la guerre ces vieux comptes !

Pour répondre donc au défi porté par le critique français, Gottsched ne trouva rien de mieux que de réunir toutes les pièces allemandes qu’il put découvrir. Après seize ans de recherches, il en offre mille deux cents au public. Il prévoit que son recueil ne plaira pas aux admirateurs de tout ce qui n’est pas allemand. « Le nombre en est certainement plus grand en Allemagne que je ne voudrais, et leur jugement est d’autant plus à redouter pour moi, que ce sont d’ordinaire des gens de qualité. Les cours et la noblesse qui a voyagé sont en général les adorateurs jurés de l’étranger, et n’éprouvent que du dégoût pour l’esprit allemand, simplement parce qu’il est d’un bon genre de mépriser la langue que parle la multitude en son pays. Mais la multitude ne parle-t-elle pas aussi français en France ? » Et Gottsched fait appel à tous les lecteurs patriotes pour l’aider à compléter son répertoire ; il y va, selon lui, de l’honneur commun de toute l’Allemagne.