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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/103

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Toute mort est un assassinat.

Quand les observateurs rapportent que les indigènes « sont incapables de concevoir la mort comme résultant de causes naturelles », cette formule comprend deux assertions qu’il n’est pas inutile de distinguer.

La première veut dire que la cause de la mort, comme celle des maladies, est toujours représentée comme mystique ; mais pourrait-il en être autrement ? Si toute maladie est le fait d’une « influence spirituelle », d’une « force », d’un « esprit », d’une « âme », qui agit sur le patient, ou qui le possède, comment n’attribuerait-on pas la même cause à l’issue fatale de cette maladie ? Ce qui serait tout à fait inexplicable, ce serait que la mentalité prélogique eût l’idée de ce que nous appelons « mort naturelle ». Ce serait une représentation unique, sans analogue parmi les autres. Il faudrait que, par une exception incompréhensible, le phénomène le plus impressionnant et le plus mystérieux peut-être eût été, seul entre tous, dégagé de l’enveloppe mystique où les autres sont encore enfermés.

La seconde assertion, distincte de la première, implique que la mort n’est jamais due à des causes naturelles, parce qu’elle est toujours violente, en d’autres termes, parce qu’elle est toujours un meurtre, un assassinat, voulu, prémédité et accompli par une certaine personne, au moyen de pratiques magiques. De là les effroyables procès de sorcellerie, si fréquents, en Afrique surtout, et dont les observateurs nous ont tracé des tableaux si frappants. M. Nassau y voit même une des causes de la dépopulation du continent noir. Nulle part, cependant, cette croyance ne s’étend à toute mort sans exception. On n’institue pas de procès de ce genre au sujet de la mort des enfants en bas âge, des esclaves, et en général des personnes sans importance. On ne fait de recherches qu’à propos des morts suspectes, et de défunts qui valent qu’on s’en occupe. Ce qui est vrai, c’est que dans ces sociétés il y a infiniment plus de morts suspectes que dans les nôtres. D’une part, la pratique de la magie y est courante. Tout le monde en use plus ou moins. Personne ne peut s’en passer, ni n’en a l’idée chacun est donc plus ou moins disposé à soupçonner son voisin de pratiquer à l’oc-