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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/104

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casion une magie criminelle, et chacun est à son tour l’objet de ce même soupçon. D’autre part, la représentation même que tous ont de la maladie et de la mort, toujours dues à des influences mystérieuses, conduit facilement à penser que la mort a été violente, en ce sens que ces forces ont dû être mises en mouvement par une volonté ennemie.

De là vient que souvent, dans les sociétés inférieures, les morts les plus « naturelles » à nos yeux, étant rapportées à des causes mystiques, sont considérées comme violentes, au mépris de ce qui semble l’évidence la plus formelle. C’est un point sur lequel s’accuse avec force la différence entre nos habitudes mentales et celles qui régissent les représentations collectives dans ces sociétés. Ainsi, dans le détroit de Torrès, « la mort par suite d’une morsure de serpent est généralement considérée comme due à ce que le serpent a été influencé par un sorcier[1] ».

(F. M., pages 323-325.)

Pouvoirs des sorciers.

Innombrables sont les maléfices que peut employer le sorcier. S’il a condamné (doomed) un individu, tantôt il s’emparera de quelque chose qui lui a appartenu, et qui, par participation, est lui-même (par exemple, de ses cheveux, de ses rognures d’ongles, de ses excréments, de son urine, de la trace de ses pas, de son ombre, de son image, de son nom, etc.) et, par certaines pratiques magiques exercées sur cette partie de son individu, il le fera périr. Tantôt il fera couler son canot, rater son fusil. Tantôt, il le dépècera la nuit, pendant son sommeil, et lui volera son principe vital en enlevant la graisse de ses reins. Tantôt il le « livrera » à une bête féroce, à un serpent ou à un ennemi. Tantôt il le fera écraser par un arbre ou une pierre qui se détachera sur son passage, — et ainsi de suite à l’infini. Au besoin, le sorcier se métamorphosera lui-même en animal. Nous avons vu qu’en Afrique Équatoriale les crocodiles qui enlèvent des victimes humaines ne sont jamais des animaux ordinaires, mais bien les instruments dociles des sorciers, ou même des

  1. Seligman, The Medicine, surgery, and midwifery of the Sinaugolo (Torres Straits), J. A. I., 1902, p. 299.