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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/105

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crocodiles-sorciers. À la Guyane anglaise, « un jaguar qui montre une audace inaccoutumée en s’approchant des hommes paralysera souvent un chasseur, même brave, à la pensée que ce peut être un tigre-Kanaïma ». Ce tigre, se dit l’Indien, si ce n’est qu’une bête fauve ordinaire, je puis le tuer avec une balle ou une flèche, mais que vais-je devenir si j’attaque le tueur d’hommes, le terrible Kanaïma ?

(M. P., page 53.)

Morts-vivants.

En diverses régions, beaucoup de récits nous parlent de gens qui sont morts et qui sont revenus à la vie, et même d’autres qui, tout en ayant l’air d’être encore vivants, sont en réalité des morts. Un sorcier les a tués. Il juge avantageux pour lui de leur rendre l’apparence de la vie, pour un temps plus ou moins long. Rien n’a d’abord changé en eux, bien qu’il leur ait enlevé une appartenance essentielle, sans laquelle ils ne pourront continuer longtemps à vivre, c’est-à-dire qu’il ait, selon l’expression courante, « mangé leur âme ». En fait, ils sont déjà morts, mais leur entourage, et souvent eux-mêmes ne s’en aperçoivent pas. Ce sont là, pour ainsi dire, des morts à retardement.

Par exemple, dans le sud du Queensland, au témoignage d’un ancien observateur, « la mort est toujours causée par un turrwan (docteur) d’une autre tribu. Quand un homme meurt, les indigènes pensent qu’il avait été tué quelque temps auparavant, sans que personne, pas même lui, l’ait su. Étrange croyance, en vérité ! Ils pensent qu’il a été tué avec un kundri et mis en morceaux, puis que ces morceaux ont été de nouveau réunis. Plus tard, l’homme meurt d’un refroidissement, ou peut-être il est tué dans un combat. On ne s’en prend jamais à celui qui lui porte le coup mortel. « Cet homme devait mourir, voyez-vous ! » (c’est-à-dire, il avait été déjà « condamné » ou même tué, sans qu’on l’ait vu, par un sorcier). Mais on met cette mort au compte d’un homme d’une autre tribu, qui en est le véritable auteur[1]. »

Chez les Toradja’s, « quand un loup-garou, sous sa forme

  1. Tom Petrie, Reminiscences of early Queensland, p. 30.