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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/107

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Morts-esclaves.

Le sorcier peut faire que la mort reste larvée. Parfois même il se rend maître de morts qu’il n’a pas lui-même tués. Il les fait sortir de leur tombe pour se les approprier. « Chez les Anang, au nord de Ndiya (Nigeria du Sud), une superstition étrange prévaut. On assure que les gens se rendent aux tombes des nouveau-morts, et font un sacrifice pour s’assurer l’aide d’esprits malins. Ensuite, ils frappent la tombe avec une tige de bananier l’arbre de la vie en Afrique en appelant, à chaque coup, le cadavre par son nom, et à la fin le mort, dit-on, sort de son tombeau. Aussitôt les sorciers l’enchaînent, et le vendent au loin comme esclave[1]. »

(A. P., pages 345-346.)

Hommes-crocodiles et hommes-tigres.

Si l’on cherche à préciser comment les indigènes se représentent les rapports du sorcier et de l’animal, on se heurte à une difficulté à peu près insurmontable. Leur pensée n’a pas les mêmes exigences logiques que la nôtre. Elle est régie, en ce cas comme en beaucoup d’autres, par la loi de participation. Il s’établit entre le sorcier et le crocodile une relation telle que le sorcier devient le crocodile, sans cependant se confondre avec lui. Du point de vue du principe de contradiction, il faut de deux choses l’une : ou que le sorcier et l’animal ne fassent qu’un, ou qu’ils soient deux êtres distincts. Mais la mentalité prélogique s’accommode des deux affirmations à la fois. Les observateurs sentent bien ce caractère de la participation, mais ils n’ont pas le moyen de l’exprimer. Ils insistent tantôt sur l’identité, tantôt sur la distinction des deux êtres : la confusion même de leur langage est significative. Ainsi, « on attribue aux balogi (sorciers) le pouvoir de métempsychoser les morts dans un serpent, un crocodile, etc. Cette métempsychose s’effectue le plus ordinairement dans le crocodile ; aussi ce monstre, sans être

  1. P. A. Talbot, Life in Southern Nigeria, p. 63.