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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/110

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« Ils se montrent à une grande fête qui avait lieu ce soir-là. Pendant que les gens dansent, Wée et Dobasi se rendent furtivement au bois de cocotiers, et ils se glissent dans les deux rats de bois. Ils font un trou, en la rongeant, dans chacune des noix mises en réserve dans la brousse. Quand ils en ont fini avec elles, ils vont dans les maisons faire subir le même traitement aux noix que l’on y conserve. Ensuite, ils ramassent des fourmis, et par les trous ils les introduisent dans les noix. Elles dévorent ce qui y reste de chair.

« On s’aperçoit du dégât… Les gens sont furieux ; hommes et femmes prennent leurs armes, cernent la maison de Wée et de Dobasi, et en forcent la porte pour attaquer ces deux hommes. Mais ils s’étaient transformés en rats, et ils étaient sur leurs gardes… Ils sautent sur la tête et les épaules d’un homme. On leur lance des flèches ; elles n’atteignent que lui. Ils sautent alors sur un autre, qui est tué à son tour, et ainsi de suite[1]. »

Ce conte est particulièrement suggestif. Il nous fait un peu mieux comprendre ce que les primitifs ont dans l’esprit lorsqu’ils parlent d’animaux « créés » ou fabriqués. Les deux Papous, décidés à se venger de leurs voisins, fabriquent deux rats en bois. Mais ils ne donnent pas à ces animaux, avec la vie, l’ordre d’aller ronger et gâter les noix de coco qui appartiennent au village. Ils s’introduisent dans les rats de bois, et vont eux-mêmes rendre immangeables toutes les noix. C’est encore sous cette forme qu’ils échappent aux flèches, et les font dévier sur les gens du village qui les attaquent. Cette intervention personnelle des sorciers dans l’exécution de leur maléfice implique-t-elle quelque chose de nouveau ?

— En aucune façon. Que les dégâts soient le fait de rats « créés » par les sorciers (c’est-à-dire spécialement chargés de cette mission, ou fabriqués exprès), ou des sorciers en personne à l’intérieur de rats fabriqués par eux, ce ne sont là, aux yeux de l’indigène, que des procédés équivalents pour atteindre un même but, que de simples « variantes ». La différence entre elles n’a pas d’intérêt pour lui. Dans un cas comme dans l’autre, la cause réelle et unique du méfait, ce sont les sorciers. Ce point seul lui importe. Seul, il arrête

  1. G. Landtman, The folktales of the Kiwai Papuans, p. 322.