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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/111

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son attention. Si, au lieu de se glisser dans les rats de bois, les deux sorciers les avaient rendus vivants, et envoyés ronger les noix de coco, comme d’autres chargent un crocodile de leur fabrication d’aller saisir leur ennemi, comme les sorciers africains envoient un lion « créé » par eux dévorer un homme ou son bétail, ils n’en seraient pas moins les vrais auteurs de l’acte. L’indigène ne dira pas seulement comme nous que ces rats, ce crocodile, ce lion sont leurs serviteurs, leurs instruments, les exécuteurs de leurs ordres. Sa pensée va plus loin. Elle voit en ces animaux, artificiels ou non, comme des prolongements de la personnalité des sorciers. Ils en sont des appartenances, c’est-à-dire des parties intégrantes. Ce qui est rendu sensible, d’une façon concrète et naïve, quand les deux sorciers s’introduisent dans les rats de bois.

(My. P., pages 282-284.)

Sorciers « cannibales ».

D’où vient que l’épouvante causée par le « sorcier » est pour ainsi dire sans limites ?

« Le mot sorcier, dit le bon observateur Macdonald, implique deux idées. La personne désignée par ce mot 1o a le pouvoir ou le savoir suffisant pour pratiquer les arts occultes ; 2o est adonnée au cannibalisme. Le second sens est celui qui domine… Les sorciers tuent leur victime pour la manger[1]. » M. Junod dit de même : « La sorcellerie est un des plus grands crimes que l’homme puisse commettre. Elle équivaut à l’assassinat ; elle est même pire que le meurtre, car une vague idée d’anthropophagie s’ajoute à la simple accusation de meurtre… Un sorcier tue des êtres humains pour se repaître de leur chair[2]. »

L’anthropophagie dont il s’agit ici est en quelque sorte mystique. Les victimes du sorcier sont dévorées par lui sans qu’elles le sachent. Elles ne lui servent pas d’aliments une fois mortes : elles meurent, au contraire, parce que le sorcier les a déjà « mangées ».

(M. P., page 277.)
  1. Rev. D. Macdonald, Africana, I, p. 206.
  2. H. A. Junod, The life of a South African tribe, I, pp. 416-417