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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/115

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n’est observée chez les Pahouins que dans certains cas particuliers. Mais… dans presque toutes les autres tribus de la Ngounié, elle était en pleine vigueur quand j’habitais ce pays ; elle l’est encore, je crois, et le sera longtemps. Sans pouvoir l’affirmer absolument, je pense qu’il en est de même chez toutes les populations du Haut-Ogooué.

« Quelle est donc la cause d’une pratique si universellement répandue ? Je vous dirai que l’autopsie n’est nullement faite (à quelques exceptions près) pour connaître le genre de maladie dont le défunt est décédé ; mais pour savoir qui a « mangé son âme », ou quelles autres âmes lui-même a « mangées ». Ou, en d’autres termes, c’est pour connaître de quel endjanga il est mort, du sien ou de celui du voisin.

« En quoi consiste au juste cet endjanga ?… Pour ma part, je serais porté à croire que cette idée d’endjanga, ignemba, ou evous est basée sur le fond de jalousie, d’envie, que l’on prête à certaines personnes mal famées ou mal vues. En effet, il est rare de voir une personne, affable et bienveillante dans ses relations, accusée d’ignemba, tandis qu’au contraire une personne hautaine ou de manières peu engageantes en est facilement soupçonnée.

« Les uns disent que c’est une petite bête armée de pinces, une sorte d’araignée, qui, extraite du corps et exposée au grand air, happe au passage mouches, moucherons, maringouins et moustiques.

« D’autres pensent que c’est une espèce de vampire qui s’en va sucer le sang des vivants.

« Certains affirment que c’est un nerf du cœur ou un polype viscéral habité par un esprit capable de jeter de mauvais sorts et d’accomplir des actes préternaturels. Enfin, d’aucuns prétendent que c’est l’âme elle-même qui s’extériorise la nuit sous la forme d’un globe de feu pour aller nuire aux voisins[1]. »

L’auteur affirme ici nettement l’identité, si difficile à comprendre pour nous, de cette petite bête, araignée ou vampire, et de la disposition socialement nuisible, jalousie, envie, malveillance. Nous penserions que la petite bête en est le véhicule, la matérialisation, le symbole. Pour les indi-

  1. Abbé A. Walker, « Un enterrement chez les Ishogos ». Bulletin de la Société de Recherches Congolaises, no 8, pp. 136-137 (1928)