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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/117

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parfois vit loin d’eux ; ils ne songent pas actuellement à se venger d’elle, et son malheur ne leur procurera aucun avantage. Il semble naturel de les distinguer du sorcier-né, essentiel, professionnel, qui est haineux, cruel, assassin de tempérament, véritable ennemi public. Les primitifs tiennent ordinairement compte de cette différence. Cependant, ils n’ont pas toujours le sang-froid et le calme nécessaires pour y prendre garde. La réflexion n’est guère compatible avec l’émotion qui les bouleverse quand ils s’aperçoivent qu’un des leurs a été ensorcelé, surtout si le « sorcier » est entre leurs mains. Leur surexcitation ne leur permet pas de s’arrêter à cette circonstance, si importante à nos yeux, que le porte-malheur n’avait nullement la volonté consciente de nuire à sa victime. Le mal est fait : il en est l’auteur. S’il en est encore temps, on le force à le « défaire ». S’il est trop tard, il n’échappera guère à son sort.

(S. N., pages 193-194.)

L’ensorcellement domestique.

Quelqu’un dans la force de l’âge, ou tout jeune, tombe gravement malade, et meurt. Les siens, très émus, pensent tout de suite à un ensorcellement. Peut-être, cependant, est-ce l’effet du mécontentement d’un ancêtre ? Un devin, consulté, confirme que l’on a affaire à un sorcier. Qui est-ce ? Souvent (en particulier chez les Bantou), c’est sur un parent proche de la victime, sur un fils, une mère, un frère, que se porteront d’abord les soupçons. C’est à lui qu’on fera boire le poison d’épreuve. Si étrange, si incroyable que cette désignation nous paraisse, elle n’en est pas moins fréquente, et nous allons en voir les raisons.

(S. N., page 199.)

Un jeune couple a perdu un tout petit enfant, et bientôt après un autre, qui commençait à marcher, meurt à son tour. Ils cherchent la cause de leur malheur. « Nous l’avons porté au tombeau, nous lui avons ouvert le ventre, et nous avons trouvé que la vessie (?) manquait : les mauvais esprits avaient enlevé cet organe. Puis nous enterrâmes l’enfant.