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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/118

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« Après avoir découvert cela, nous avons dit : « Qui peut être ce sorcier, cet esprit malfaisant qui a ensorcelé notre enfant, et enlevé la vessie de son corps ? Nous en avons parlé ensemble, ma femme et moi, et nous avons dit : « Toi et moi, nous allons tous les deux boire le mwamfi (poison d’épreuve) ; nous voulons savoir qui est le sorcier. Et alors je dis : « Peut-être, ma femme, es-tu une unlozi ? (sorcière), » et ma femme dit : « Peut-être, mon mari, es-tu un unlozi ? » Nous bûmes donc le mwamfi. Je pris le mien de mon côté, ma femme but aussi le sien de son côté. Nous en étions convenus ainsi, et nous dîmes : « Voici que notre enfant est mort peut-être est-ce nous, ses parents, qui l’avons ensorcelé ? Reste dans notre corps, mwamfi, s’il en est ainsi. Et si ce n’est pas nous, ne reste pas, mwamfi, et sors alors de notre corps. » Après avoir ainsi parlé, nous avons vomi tous les deux le mwamfi, ma femme et moi. Alors nous nous sommes crus l’un l’autre, et nous avons dit : « Ce n’est pas nous ; nous ne sommes pas des sorciers, nous n’avons pas ensorcelé notre enfant, car nous avons bien vomi le mwamfi dans notre hutte[1]. »

Ainsi ce père et cette mère, désolés de la mort de ce second enfant, qui ne peut pas être naturelle, et n’ayant de soupçon sur personne, se demandent anxieusement si le principe nocif qui a tué leur bébé ne se trouve pas chez l’un d’eux. Il a dévoré un organe interne de sa victime : c’est donc un cas caractérisé d’ensorcellement. Si ce principe nocif habite le corps de l’un d’eux, le mwamfi, détective infaillible, l’y découvrira. Il restera dans le corps, et la mort du sorcier s’ensuivra. Ces malheureux parents ne trouvent donc rien d’étrange à supposer qu’ils ont peut-être causé eux-mêmes la mort de leur enfant. Ils se sentent obligés de vérifier cette supposition, au péril de leur vie. Il n’est donc pas surprenant, quand une mort suspecte se produit, que l’on se demande si ce n’est pas la femme ou le fils, ou le frère, etc., du défunt qui l’a ensorcelé, c’est-à-dire qui porte en soi, sans le savoir, le principe meurtrier.

(S. N., pages 203-205.)
  1. E. Kootz-Kretschmer, Die Safwa, II, p. 268.