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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/124

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en note : « Sans doute l’ordalie, comme toute chose, est en dernière analyse un don de Dieu ; mais elle agit par elle-même (selbständig) d’une façon indépendante, comme une « médecine », sans qu’on ait à penser à une intervention de Dieu[1]. » S’il est permis, ajouterai-je, de parler de Dieu en ce sens, lorsqu’il s’agit des tribus du Haut-Congo, ou même de la plupart de celles de l’Afrique équatoriale et australe.

Ainsi élucidée, la notion de cette ordalie éclaire à son tour celle de sorcellerie, qui tient une place si considérable dans les représentations collectives de ces tribus. Elle nous montre d’où provient la malfaisance de ces sorciers, qui inspirent tant de crainte et d’horreur. La violence de ces sentiments est telle, comme on sait, que, au moindre soupçon de sorcellerie, les liens de l’affection la plus tendre, entre amis intimes, entre époux, entre frères, entre parents et enfants, se rompent tout d’un coup, et totalement. Parfois, l’individu suspect sera aussitôt exterminé par ses proches, sans jugement, et même sans ordalie.

(M. P., pages 275-276.)

Le mythe, reflet des institutions.

Dans une région voisine, habitée par les Balobo, on s’assure par une autopsie de la présence du principe malfaisant dans le corps du sorcier. « Nous connaissions fort bien, dit le missionnaire Grenfell, l’homme qui venait d’être tué pour crime de sorcellerie… Les siens poussèrent les hauts cris après sa mort, parce que l’accusateur ne réussit pas à trouver le principe malfaisant (witch), une sorte d’excroissance assez commune dans l’intestin, et qui passe pour un signe infaillible. Cette fois-ci, on n’en put trouver la moindre trace, et le pauvre homme fut lavé du crime de sorcellerie[2]. »

Bentley a vu lui-même des indigènes en train de disséquer un cadavre, pour y chercher l’organe qui, d’après eux, prouve que de son vivant l’homme était sorcier[3].

(M. P., page 269.)
  1. C. Meinhof, Afrikanische Religionen, p. 53.
  2. W. H. Bentley, Pioneering on the Congo, II, pp. 230-231.
  3. Ibid., II, p. 233.