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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/125

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Destruction du cadavre des sorciers.

Le cas des sorciers est caractéristique. On sait la terreur qu’ils inspirent. Souvent on veut s’en délivrer à tout prix. On leur fait subir une ordalie, on les torture, on les achève : mais cela suffira-t-il ? Mort, le sorcier ne sera-t-il pas plus redoutable encore ? N’y aurait-il pas un moyen, sinon d’anéantir, du moins de paralyser le sorcier mort ? Oui, pense-t-on souvent, en détruisant son corps. Car le mort et son corps ne sont qu’un seul individu.

Dans la plupart des tribus bantou, la règle est de brûler le sorcier, vivant ou mort. Par exemple, chez les Ba-kaonde, l’individu soupçonné est soumis à l’ordalie par le poison. Reconnu coupable, le sorcier est lié, et un interrogatoire a lieu, afin de découvrir pour quelle raison il a tué telle ou telle personne, et aussi de quelle sorte de maléfice il a usé… Ensuite on le tue à coups de lance, et son corps est brûlé.

(A. P., pages 334-335.)

Des sorciers ont pu ne pas être démasqués de leur vivant. Morts, ils continuent leurs méfaits. On finit alors par les soupçonner. On les déterre, et on les brûle. Chose curieuse, on constate que leurs corps étaient restés intacts. Les cadavres de sorciers ne se décomposent pas. Cette croyance se rencontre dans des régions fort éloignées les unes des autres.

Chez les Palaungs, en Birmanie, Mme Leslie Milne a observé la même croyance, modifiée par des influences bouddhistes, mais encore reconnaissable. « Si un karbu (esprit) ne va pas manger le fruit de l’oubli, il peut élire domicile dans le cadavre, et quitter parfois le cimetière pour aller tourmenter les gens là où il a vécu. Le cadavre qu’il habite ne se décompose pas, et reste tel qu’au jour du décès. On raconte l’histoire d’une vieille femme qui avait succombé à la fièvre. Après sa mort, une personne mourait après l’autre, en peu de temps. À la dixième on demanda, au moment où elle allait expirer : « Qui es-tu ? » et la réponse fut : « Je suis X » (le nom de la vieille femme). Le karbu de celle-ci avait élu domicile dans son corps enterré ; il en