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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/126

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sortait la nuit, il expulsait le karbu d’une personne après l’autre (pour prendre sa place), et ainsi il les faisait mourir. Un docteur se rendit au cimetière et, avec l’aide de quelques hommes, retira le cercueil de la terre. On l’ouvrit, et on trouva sur le cercueil un petit trou par où on supposa que la morte en sortait juste au-dessus du cœur. Elle avait l’air de dormir (c’est-à-dire, le corps n’était pas du tout décomposé). On le transporta dans la jungle, et on le dépeça en petits morceaux qui furent enterrés çà et là. Après cela, le fléau cessa. » Et l’auteur ajoute : « Comme le karbu de la vieille femme, à ce qu’on peut présumer, était libre d’aller se loger ailleurs, il est difficile de comprendre pourquoi l’épidémie a cessé, à moins que le karbu n’ait plus pu retrouver le chemin du village[1]. » Mais le karbu, n’avait pas cette liberté. Il est lié à son corps par la participation la plus intime, et la destruction de ce corps l’anéantit lui-même. Il est donc naturel que l’épidémie cesse dans le village lorsque ce corps a été dépecé.

(A. P., pages 335-338.)

La contre-sorcellerie.

Pour paralyser l’action d’un sorcier, il faut une contre-sorcellerie. Quand une maladie est un ensorcellement (c’est ainsi qu’en général on se représente les maladies internes, graves), le seul traitement efficace consiste à désensorceler le patient, c’est-à-dire à opposer au pouvoir mystique du sorcier un pouvoir du même genre, mais supérieur. Pour n’en citer qu’un exemple, chez les Papago, « certaines maladies sont attribuées à la sorcellerie, et le traitement de ces affections était en réalité un duel entre le pouvoir psychique (« medicine » ou « magie ») du docteur, et celui de la personne qui, croyait-on, causait le mal du patient. L’habileté du docteur consistait, pour une part, à déterminer qui en était l’auteur, après quoi il mesurait son pouvoir avec celui de son adversaire. Si le sien était le plus fort, le malade guérissait ; s’il était le plus faible, le malade mourait[2]. » Étant donnée l’idée, à peu près universelle chez les primi-

  1. Leslie Milne, The home of an eastern clan, p. 341.
  2. Fr. Densmore. Papago music. E. B. Bulletin 90, p. 82, 1929.