Aller au contenu

Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La confession du sorcier.

Pour que la mauvaise influence puisse être neutralisée, il faut d’abord que le sorcier ait avoué. En Afrique australe, équatoriale, orientale, occidentale, en Indonésie, dans les montagnes du nord-est de l’Inde, ailleurs encore, l’homme suspect d’en avoir ensorcelé un ou plusieurs autres, qu’il ait été préalablement soumis ou non à une ordalie, est sommé d’avouer. S’il ne le fait pas de bonne grâce, on l’y contraint par les tortures les plus atroces. Chez les Cafres, par exemple, on lui couvrait le corps de fourmis noires, ou on le brûlait avec des charbons ardents dans ses parties les plus sensibles. S’il s’obstine à ne rien dire, il succombe après de longues heures de souffrance. En général, même s’il est sûr de son innocence, il avoue tout de suite. C’est là son unique chance de salut, et il ne l’ignore pas.

Tant qu’on ne lui a pas arraché l’aveu de ses manœuvres, on reste impuissant à en arrêter les effets. Dès qu’on a réussi à le faire parler, de gré ou de force, il ne se refuse plus à dévoiler comment il a procédé, de quoi il s’est servi, où il a caché les appartenances de la victime sur lesquelles il a opéré par exemple, qu’il les a placées sur un feu doux qui les consume lentement. On court alors les retirer de là, et on les plonge dans l’eau courante. Aussitôt l’ensorcellement cesse. De plus, la confession, comme on sait, a une vertu propre. Elle agit, elle aussi, comme une sorte de « renversement ». Elle est le « contraire » du secret. Elle « défait » ce qu’il faisait. Il favorisait la mauvaise influence : il lui permettait d’étendre ses ravages, de multiplier les malheurs. L’aveu, en annulant le secret, coupe net son action malfaisante.

(S. N., pages 488-489.)