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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/131

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Le gouverneur d’une province ou l’inspecteur d’une région est considéré comme heureux ou malheureux (c’est-à-dire comme portant bonheur ou malheur), d’après la quantité de pluie qui tombe, et d’après la crue du Nil l’année qui suit son arrivée. Si tout se passe bien, on dit qu’il a les « pieds mouillés ».

(S. N., pages 26-27.)

Tout accident est signe de malheur.

Dans les régions les plus éloignées les unes des autres, les primitifs ont une disposition à tomber en arrêt devant des accidents, sans gravité en eux-mêmes, mais dont l’aspect insolite les effraye : un son qui se produit sans cause apparente, une maladresse inexplicable chez quelqu’un qui ne manque jamais son coup, une blessure que l’on se fait subitement avec un outil que l’on manie tous les jours, sans que cela soit jamais arrivé, etc. Ce sont là les signes infaillibles d’un malheur, d’une catastrophe qui a frappé ou qui est en train de frapper la personne ainsi avertie, pendant qu’elle est loin.

(S. N., pages 39-40.)

En vertu encore de cette disposition, la mentalité primitive attribuera sans hésiter une signification alarmante à des faits pour ainsi dire mitoyens, limitrophes, qui tiennent à la fois du présage et de l’accident. Quelque chose d’insolite arrive on ressent un choc soudain. Aussitôt on est persuadé qu’un malheur vient de se produire et l’événement confirme cette certitude.

« Abere, qui vivait à Waboda, avait un jeune fils du nom de Gadiva. L’enfant avait l’habitude de jouer tout près de la rivière, et Abere l’avertit : « Il ne faut pas aller si près de l’eau ; un beau jour l’alligator te prendra. » Un jour, tandis qu’Abere était dans la brousse avec ses filles, Gadiva fut saisi par un crocodile qui l’entraîna au fond de l’eau. Au même moment, Abere, en train de broyer du sago, se blessa le pied avec son mortier, et le sang se mit à couler. « Oh ! s’écria-t-elle, que veut dire cela ? Jamais cela ne