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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/132

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m’était arrivé. Un malheur doit s’être produit là-bas. Peut-être un alligator a-t-il pris Gadiva[1] ? » Elle courut chez elle. »

Le Dr Roth remarque, à propos de ces faits : « Le signe ou présage peut être une sorte de sentiment indescriptible. On se sent « tout drôle » ; on est effrayé, comme si quelque chose allait arriver[2]. » Dans un grand nombre de contes, des personnages ont de ces pressentiments subits, inexplicables Ils s’attendent aussitôt à un malheur, qui, en effet, arrive.

(S. N., pages 33-34 et 37.)

Tout fait insolite porte malheur.

Chaque incident tant soit peu remarquable est interprété comme un signe. En particulier, tout ce qui est insolite paraît aussitôt suspect. Ainsi, il n’est pas bon d’être trop constamment heureux : « Lorsqu’un chien, écrit M. A. C. Kruyt, est toujours heureux à la chasse, cela est measa (porte-malheur, signe de malheur). Trop de succès à la chasse inquiète le Toradja. La force magique, grâce à quoi l’animal est capable de prendre le gibier, sera nécessairement fatale à son maître : celui-ci mourra bientôt, ou bien la récolte de riz manquera, ou, le plus souvent, une épizootie se déclarera sur les buffles ou sur les porcs. Cette croyance est générale dans tout le centre de Célèbes. Un indigène du Bas-Mori m’en a donné une explication caractéristique. « Le chien, me dit-il, pressent la mort de son maître, et pour cette raison, il fait de son mieux pour prendre le plus possible de gibier, afin que l’on ait les provisions nécessaires pour les visiteurs qui viendront rendre leurs devoirs au défunt[3]. »

Mais la malchance constante d’un chien à la chasse n’est pas moins inquiétante. « Dans les deux cas, ou bien on n’emmène plus ce chien à la chasse, ou bien on le met au service de quelqu’un d’autre. Si alors sa chance diminue, ou si le chien régulièrement malheureux commence à attraper du gibier de temps en temps, le maître reprend sa bête. Mais

  1. G. Landtman, The Kiwai Papuans, p. 127.
  2. W. E. Roth, An inquiry into the animism and folklore of the Guiana Indians. Report of the Bureau of American Ethnology, XXX, pp. 272-273.
  3. A. C. Kruyt, Measa, III, T. L. V., LXXVI, p. 66 (1920).