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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/134

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malheur. Les enfants nés un de ces jours-là sont suspects. Il arrive qu’on les supprime par crainte des calamités qu’ils vont causer.

Il y a ainsi des moments où les puissances invisibles hostiles, où les influences malignes se manifestent de préférence. Elles y sont plus immédiatement présentes, plus actives, plus dangereuses. La prudence exige donc qu’alors on se tienne coi, que l’on s’abstienne de rien entreprendre, en un mot qu’on ne donne pas prise sur soi à ces forces ennemies, qui s’empresseraient de saisir l’occasion offerte. De là proviennent les tabous bien connus, qui a des moments déterminés interdisent telle ou telle action, ou même toute activité de quelque sorte qu’elle soit.

Du même coup, le primitif sait qu’à d’autres jours, à d’autres heures, les mauvaises influences sont moins à redouter. Il a intérêt à les choisir pour commencer ce qu’il veut entreprendre. Il courra ainsi de moindres risques. C’est un peu comme s’il pouvait compter sur un présage favorable. Il est donc de la plus haute importance de savoir quels jours sont fastes, quels autres néfastes. Lorsque les Eskimo apprirent de leurs premiers missionnaires qu’il fallait s’abstenir de tout travail le jour du Seigneur, « Comment ! s’écrièrent-ils, il y a un jour de la semaine qui est tabou, et nous ne le savions pas ! » Leurs yeux s’ouvraient : ils tenaient l’explication de bien des malheurs dont ils n’avaient jamais pu découvrir la cause. Dès lors, dit Stefánsson, ils se montrèrent plus rigoureux et plus stricts que les pasteurs eux-mêmes à observer le repos du sabbat.

(S. N., pages 18-20.)

Tout ce qui est nouveau est dangereux.

Ce qui est inconnu met en défiance. S’il s’agit d’un animal ou d’un fruit, peut-être en y touchant — en le mangeant, s’il paraît comestible — s’expose-t-on à devenir impur. Mais peut-être aussi l’aliment serait-il bon et profitable. Comment s’en assurer, sans courir de risque ? On ne se hasarde pas soi-même à l’essai. On le fait faire devant soi. Dans un certain nombre de légendes, avant de manger d’un fruit jusque-là inconnu, ou d’un aliment nouveau, du poisson par