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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/138

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des hommes sont groupés. Deux d’entre eux creusent une fosse… On me montre une vieille couverture, trempée de pluie et souillée de boue ; on en soulève un coin ; c’est Tsai encore tout chaud, et qu’on va enterrer dans un instant, sans que sa grand’mère l’ait revu, sans que son père et sa mère, qui demeurent à deux heures de cheval d’ici, aient été prévenus, et aient pu le voir une dernière fois. « Pourquoi l’enterrez-vous si vite, avant même qu’il soit refroidi, et sans appeler ses parents ? — Un homme comme cela, on ne le ramène pas au village. — Pourquoi ? — Parce que la foudre reviendrait, et tuerait d’autres personnes du village[1]. »

(M. P., pages 313-314.)

La « mauvaise mort », en frappant un homme, oblige du même coup son groupe social à l’excommunier. Pour ne pas attirer sur soi la colère des puissances invisibles dont il est l’objet, on a hâte de l’éloigner. De là, la suppression des cérémonies funéraires qui règlent d’habitude les rapports du nouveau mort avec son groupe, et sans doute aussi la coutume des Fân qui l’ensevelissent sous une fourmilière. Plus vite les chairs seront détachées des os, plus vite aussi le défunt entrera dans sa condition définitive[2].

(M. P., page 317.)

Les malheureux, objets d’horreur.

S’il en est ainsi, quels sentiments éprouvera-t-on à l’égard de ceux qui ont été tout près de la « mauvaise mort », qui y ont presque succombé, mais qui, par un coup de chance ou un suprême effort, semblent y échapper et sauver leur vie ? Viendra-t-on à leur secours, leur tendra-t-on la perche, fera-t-on l’impossible pour les arracher à la mort qui les tient déjà plus qu’à moitié ? Un sentiment irrésistible d’humaine sympathie, semble-t-il, devrait y porter. Un senti-

  1. Missions évangéliques, LXXIV, 2, p. 172-173 (Dieterlen). Cf. Colonel Mac Lean, A Compendium of Kafir laws and customs, p. 85.
  2. Cf. R. Hertz, La représentation collective de la mort. Année sociologique, X, pp. 66-67.