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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/141

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Divination par le rêve.

Par le rêve, l’homme vivant communique avec les morts, et, d’une façon générale, avec les puissances mystiques, de la façon la plus simple et la plus aisée. Pendant le sommeil, son état se rapproche beaucoup de celui des morts. La barrière qui le sépare d’eux à l’état de veille est momentanément abaissée. Il les voit, il les entend, il cause avec eux, il leur adresse ses demandes et il reçoit les leurs. Mais le rêve ne se produit pas à point nommé, ni chaque fois qu’on en a besoin. Le primitif s’efforcera donc de provoquer des rêves, et il y réussira.

Ce procédé de divination est d’autant plus employé dans une société qu’elle attache plus d’importance aux rêves. Chez les Indiens de la Nouvelle-France qui, selon l’expression d’un père jésuite, « faisaient du songe leur divinité », il était d’un usage constant. Le jeûne était le moyen de supplication ordinaire pour obtenir le rêve désiré. « Ils jeûnent en leur honneur (de leurs dieux), pour savoir l’événement de quelque affaire. J’en ai vu avec compassion, dit le père, qui, ayant quelque dessein de guerre ou de chasse, passent des huit jours de suite, ne prenant presque rien, avec telle opiniâtreté qu’ils ne désistent point qu’ils n’aient vu en songe ce qu’ils demandent, ou une troupe d’orignaux, ou une bande d’Iroquois mis en fuite, ou chose semblable. Ce qui n’est pas bien difficile à un cerveau vide, et tout épuisé par le jeûne, et qui ne pense le jour à rien autre chose[1]. »

Est-ce seulement pour savoir s’ils réussiront que les Indiens poursuivent ainsi leur jeûne, jusqu’à ce que le songe qu’ils jugent nécessaire se soit produit ? On a vu plus haut le respect religieux avec lequel ils exécutent tout ce qui leur est ordonné par le songe. Nous savons d’autre part qu’aux yeux de la mentalité primitive, les présages n’annoncent pas seulement, mais qu’ils causent aussi les événements. Le songe est un présage. Celui que le Huron met une telle opiniâtreté à provoquer, avant de partir en chasse ou en guerre, est donc tout autre chose qu’une simple révélation

  1. Relations des jésuites, L (1666-1667), p. 290.