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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/143

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démasquent le sorcier, dont l’activité meurtrière est une menace perpétuelle pour le groupe social et, du même coup, ils montrent au nouveau mort qu’ils n’oublient pas le soin de le venger. Ils se prémunissent ainsi contre la colère qu’il ne manquerait pas de leur faire sentir, pour peu qu’il se crût négligé.

Chez les Narrinyeri, « la première nuit après qu’un homme est mort, son plus proche parent dort la tête sur le cadavre, afin d’être amené à rêver qui est le sorcier qui a causé la mort… Le lendemain, le corps est posé sur les épaules de certains hommes, dans une sorte de bière appelée ngaratta. Les amis du défunt font alors cercle autour d’eux, et différents noms sont prononcés pour voir s’ils produisent quelque effet sur le cadavre. À la fin, le plus proche parent prononce le nom de la personne dont il a rêvé : alors le cadavre, disent-ils, communique à ses porteurs une impulsion à laquelle ils prétendent ne pas pouvoir résister, et ils s’avancent vers le proche parent. Cette impulsion est le signe qui prouve que le nom prononcé est bien celui que l’on cherchait[1]. »

Même interrogatoire du mort, encore plus direct, en Nouvelle-Bretagne. « La nuit qui suit le décès, l’usage est que les proches du mort se réunissent hors de sa maison ; un « docteur » (tena agagara) appelle à haute voix l’esprit du mort, et lui demande le nom de la personne qui l’a ensorcelé. S’il n’y a pas de réponse, le tena agagara prononce le nom d’une personne sur qui on a des soupçons, et tout le cercle tend l’oreille. Si aucune réponse ne vient, un autre nom est prononcé, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’enfin un son, — comme si quelqu’un frappait du doigt sur une planche ou sur une natte, — se fasse entendre soit dans la maison, soit sur un coquillage que le tena agagara tient dans sa main, au moment de l’appel d’un certain nom : preuve décisive que c’est là le coupable[2]. »

(M. P., pages 186-187.)
  1. G. Taplin, The Narringeri tribe, pp. 19-20. Cf. un passage identique dans Eylmann, Die Eingeborenen der Kolonie Süd Australien, p. 229.
  2. George Brown, Melanesians and Polynesians, pp. 385-386.