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Page:Lévy-Bruhl - Morceaux choisis, 1936.djvu/145

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ils se risquent souvent à le rechercher, avec les précautions nécessaires. Ils savent discerner parmi eux les « sujets » plus sensibles que les autres à l’influence des puissances invisibles, et plus capables de recevoir les révélations de l’au-delà. Ces sujets deviennent des devins, des voyants, des sorciers au bon sens du mot. C’est à eux que l’on s’adresse quand on a besoin d’une révélation particulière. Chez les Eskimo, les opérations divinatoires sont réservées au medicine-man, à l’angekok. Pour les accomplir, il se met lui-même en état de sommeil hypnotique ou de trance, de catalepsie ou d’extase, c’est-à-dire, il se transporte dans la région des puissances invisibles, et il entre en communication avec elles. Il voit et il entend les morts, il franchit en un instant, sans être vu, les plus grandes distances par la voie des airs, etc. C’est une expérience analogue à un songe provoqué, c’est-à-dire à une vision privilégiée et infaillible.

Les primitifs connaissent aussi la divination, très voisine de la précédente, qui s’opère par le moyen d’un cristal, d’un miroir (quand ils en ont), d’une surface liquide, etc. Pour prendre un exemple entre mille, au Groenland, selon Crantz, « ils prétendent découvrir si un homme qui n’est pas revenu de la mer comme on l’attendait, est mort ou en vie. Avec un bâton, ils élèvent la tête du plus proche parent de l’absent au-dessus d’un baquet plein d’eau ; et dans ce miroir ils aperçoivent l’homme renversé dans son kayak au fond de l’eau, ou bien assis tout droit dans son embarcation et en train de ramer[1]. »

Les docteurs et les sorciers sont doués, en général, d’une « clairvoyance » particulière. Ce qui reste invisible aux autres, leurs yeux le perçoivent. Aussi sont-ils « plus qu’hommes » pendant leur vie, et souvent après leur mort. Ils possèdent parfois le pouvoir de discerner des coupables à leur seul aspect, et l’on a toute confiance en leurs affirmations. Ainsi « il est intéressant de remarquer, dit M. Dixon, que les shamans, à ce que croient les Shasta, ont le pouvoir de dire immédiatement si une personne a commis une mauvaise action, de quelque nature qu’elle soit. Ils le peuvent, parce que, quand ils regardent quelqu’un qui a volé ou commis

  1. D. Crantz, History of Groenland, I, p. 214 (1767).